Voici une nouvelle que j'ai écrite pour un concours amateur il y a quelques mois ! Un pied hors de la tombe- Alleeeeeeeez ! La voix, suppliante, appartenait à une jeune femme d’un peu plus de vingt ans, une petite brune habillée d’un T-Shirt banal bien qu’un peu abîmé et d’un jean. Entourée par des étagères chargées de bibelots plus anciens et poussiéreux les uns que les autres, elle implorait un vieil antiquaire, le fixant de ses yeux bleu clair volontairement humides, même si la technique d’attendrissement ne semblait pas fonctionner avec le vieil homme. - Tu peux bien faire ça pour moi, Lucien !Son interlocuteur ricana, amusé par la manœuvre. Il était visiblement, non, totalement, insensible à la tentative de la jeune femme qui aurait bien aimé l’amadouer. - Ophélie, je t’ai dit que si j’obtenais quelque chose de cet acabit, je te préviendrais et tu serais la première à pouvoir profiter de l’offre. Il n’a jamais été question de la moindre petite ristourne ! - Une toute petite, une toute petite de rien du tout ! répliqua ladite Ophélie avec un sourire innocent, comprenant que la carte de la mine larmoyante ne lui servait à rien. - Non. - Tu es quelqu’un de si généreux … - La flatterie ne marchera pas. Intérieurement déçue par ses échecs, la jeune brune baissa le regard en silence vers le comptoir de l’antiquaire, où reposait une vieille malle abîmée contenant le précieux bien qu’elle convoitait. Elle arbora un air pensif, comme si elle hésitait et calculait l’argent qu’elle pouvait dépenser, pesant le pour et le contre. Son expression, sciemment pensée – du moins l’espérait-elle – donnait à penser qu’elle hésitait. Puis ses yeux revinrent au vieil homme et elle reprit en minaudant : - Tu ne le ferais même pas pour ta petite cousine ? - Pas même pour mes propres gosses ! - Et pour la fille de ton super cousin ? - Tu radotes. - Cette fille adorable, de ton cousin préféré ? Lucien la dévisagea sans rien dire, un air goguenard affiché sur le visage, un sourcil relevé. D’un geste de la main, il lui fit signe qu’il était temps de sortir les sous. Elle leva les yeux au ciel, soupira, et attrapa son chéquier au fond de son sac à main. - C’est bon, t’as gagné, admit-elle d’un air boudeur. Prends-le, ton argent ! C’que t’es avare … - Ma principale qualité ! Allez, file gamine, maintenant que tu m’as payé ! rétorqua l’antiquaire avec un ton moqueur. La jeune femme attrapa la malle en maugréant quelques mots agacés, et sortit de la boutique avec son bien. Mais, une fois dehors et hors de la vue de son lointain cousin, elle abandonna sa mine boudeuse pour un grand sourire joyeux, et se mit à siffloter. Elle n’avait pas réussi à avoir de remise, mais elle s’y attendait. Le vieux Lucien était dur en affaires, et lorsqu’elle disait « dur », elle entendait par là « impossible ». Rien, pourtant, ne pouvait entamer sa joie : bien sûr, elle revenait avec un compte en banque bien plus léger qu’à son entrée dans la boutique, mais cet achat était simplement l’occasion parmi les occasions. Sa meilleure acquisition depuis le début de sa courte existence. D’autant plus qu’il comptait parmi les petits plaisirs de l’année qu’elle se permettait. Alors oui, la passionnée d’antiquité égyptienne qu’elle était rayonnait de joie. D’un pas léger, elle entreprit de rentrer chez elle. En marge de la petite commune dans laquelle Ophélie vivait, se trouvait son appartement. Situé au rez-de-chaussée, il était intégré à une petite résidence privée, à peine à cinq cent mètres des premiers champs. C’était un petit quartier qui sentait la campagne … en particulier quand le fumier était déversé dans les champs. La jeune femme entra et ferma la porte avec un « clac ! » plein d’énergie. Elle traversa l’entrée puis le salon lumineux. Celui-ci était un peu encombré mais chaleureux. Il accueillait notamment un sofa qui semblait subir les années et la présence d’un chat, une grande télé et quelques consoles. De chaque côté de la télévision, deux longs posters en tissu décoraient les murs blancs avec deux personnages au style graphique typiquement japonais, une blonde aux yeux vairons entourée de neige, et un brun espiègle accompagné de flammes. Puis elle se dirigea vers une porte au fond du salon, qui donnait sur une pièce aveugle. Cette dernière était occupée par une table centrale, sur laquelle gisaient de nombreuses choses en désordre. Des outils pour un nettoyage fin, quelques pinceaux, des tissus avec de vieilles taches de gras, deux ou trois pierres reposaient pêle-mêle. Une seule exception : des objets un peu sensibles et fragiles, qui trônaient sur ce même plan de travail avec une distance de sécurité du vide et du bazar. C’était le signe que leur propriétaire était fainéante, mais adepte du minimum syndical. Autour de la table, recouvrant l’entièreté des murs, des étagères exposaient d’innombrables antiquités, pour la plupart égyptiennes : des papyrus, des statuettes à l’effigie de Bastet la déesse des chats, des sculptures de scarabées … La pièce, ainsi, ressemblait à un minuscule musée égyptien. L’aération était parfaite – mieux entretenue que celle de la salle de bain – et la température, adaptée à la fragilité des objets entreposés. Ophélie fit un peu de place sur la table centrale, y posa la malle qui était plutôt imposante, et l’ouvrit avec autant d’empressement que de délicatesse. Un sourire d’enfant illuminait son visage, comme à chaque fois qu’elle découvrait une nouvelle pièce à ajouter à sa collection. A l’intérieur, un coffret transparent en plexiglas, scellé pour protéger son contenu de l’humidité et de l’air, reposait au creux du vieux tissu rouge abîmé par les ans qui tapissait le fond de la malle. Et dans ce coffret, maintenu par un socle, un sublime pied de momie. Enfin, sublime … au goût de la jeune femme, qu’elle ne partageait pas forcément avec le commun des mortels. Elle souleva la boîte et la porta au niveau de ses yeux émerveillés. - Tu es à moi, maintenant ! s’exclama-t-elle en déposant un petit baiser joyeux sur le plexiglas. Puis, se rendant compte qu’elle était peut-être un peu trop démonstrative, elle haussa les épaules et reposa le coffret sur la table, avant de s’asseoir en face afin de se mettre à l’aise et de pouvoir l’étudier plus longuement. Le pied, qui se terminait juste au niveau de la cheville, était finement enroulé dans les fameuses bandelettes que l’on attribue aux momies. Celles-ci avaient été un peu réarrangées au niveau de la cheville pour essayer de protéger l’intérieur du pied, car, séparé du reste de son corps, le pied aurait été exposé à l’air libre. Mais Ophélie remarqua vite que les restes humains étaient légèrement abîmés et que les brigands qui avaient exhumé le corps et mis le pied sur le marché noir plusieurs décennies auparavant avaient fait le travail à la va-vite dans l’unique espoir de le vendre. Du travail peu consciencieux, uniquement dédié à avoir un maximum d’argent de manière immédiate. Malgré cela, l’antiquité était relativement bien conservée, pour le plus grand plaisir de l’égyptophile. Absorbée dans la contemplation de sa dernière petite merveille, elle n’entendit ni le bruit de porte qui retentit dans l’appartement, ni la clé s’insérant difficilement dans la serrure, ni la voix masculine qui pestait contre ladite serrure. - Lilie ? appela cette même voix, avant de réitérer. Ophélie ? Sans réponse, le jeune homme apparut bien vite dans la petite pièce réservée aux antiquités. Connaissant Ophélie, elle ne pouvait être que là ! - Je me disais bien que tu étais rentrée ! Tu peux me répondre quand je t’appelle, tu sais ? La jeune femme, assise dos à la porte et donc à son compagnon, se leva pour lui faire face et se glissa juste devant lui avec joie. - Désolée, je ne t’avais pas entendu rentrer ! Alors, le basket, comment ça a été ? Le jeune homme blond, prénommé Cyril, d’environ un mètre quatre-vingt, habillé de ses vêtements de sport et d’un T-Shirt « Celtics », eut un grand sourire. Avec une lueur de malice dans ses yeux verts, il leva un pouce en l’air. - J’les ai tous défoncés, appelle-moi Dieu ! Ah, je m’aime. Ophélie ricana devant la modestie de son homme, partie en fumée. Il lui tendait les bras avec un sourire espiègle, alors elle se rapprocha pour l’embrasser, avant de froncer les sourcils et le nez. - Va prendre ta douche, tu pues ! s’exclama-t-elle en redécouvrant comme à chaque fois le subtil parfum du sportif. Cyril s’avança encore, ignorant l’injonction de la jeune femme pour la prendre dans ses bras dans un câlin plein de sueur, tout à fait fier de sa blague, sous les cris de protestation de sa compagne qui lui hurlait indignée qu’il était dégoûtant. Tout à coup, il posa les yeux sur la nouvelle acquisition qui trônait fièrement au milieu de la table. - Yerk, c’est quoi ça ? s’étonna-t-il avec une grimace écœurée. - La toute dernière pièce de ma collection, une merveille ! Un pied de momie que le vieux Lucien a récupéré il y a quelques jours ! répondit Ophélie d’un ton réjoui. - Ça doit puer la mort à l’intérieur ! Ophélie leva un sourcil, un peu blasée devant sa réaction. - Moins que toi. Il est complètement desséché depuis des siècles et a été embaumé, la seule odeur qu’il doit avoir maintenant c’est ce qui a été utilisé pour préparer la momie, une petite odeur de vanille peut-être … De toute façon il est sous scellé. Donc tu sens plus mauvais, va prendre ta douche, champion ! Vaincu par l’argumentation, qui ne l’intéressait en fait pas plus que ça et qui lui permettait surtout de faire marcher sa chère et tendre, Cyril sortit enfin. Il était bien content d’avoir taquiné sa chérie, et la laissa à l’observation de sa « merveille », bien qu’un peu vexé de sentir plus mauvais qu’un vieux pied de deux mille ans. Vers dix-neuf heures, alors que le soleil d’été redescendait doucement dans le ciel, le vieux Lucien se mit à récupérer ses affaires afin de fermer boutique pour la journée. Il attrapa son écharpe, l’enfila malgré la chaleur, et son regard se posa par hasard sur son bureau. Il ne put s’empêcher de le scruter, d’un air d’incompréhension. Il y avait quelque chose qui n’allait pas sur ce bureau. Qui n’était pas comme à l’accoutumée. Puis son regard se posa en particulier sur un lacet de cuir, auquel était attaché une petite tablette avec des inscriptions égyptiennes. Il ne put retenir un juron, et s’exclama : - Mais quel idiot ! J’ai oublié de lui remettre le talisman qui allait avec le pied ! Bah, ce ne sont que de vieilles superstitions … Je le lui donnerai demain. Réveillée par les rayons matinaux du soleil, qui avaient l’audace de percer à travers les volets troués, Ophélie faisait le point sur la veille, le temps d’être un peu opérationnelle. Cette matinée de samedi était parfaite pour cela : elle avait le temps d’émerger. Elle avait mis la main sur un fragment de momie, un pied plus précisément. Puis la journée était vite passée, jusqu’à la soirée où Cyril et elle s’étaient mis en tête de se faire un petit film. Qui se passait dans l’Égypte antique. Autant dire que le jeune homme n’avait pas eu le choix et qu’il s’était vite trouvé embarqué par la petite tempête enthousiaste que pouvait être une Ophélie passionnée. Elle se leva avec la pensée qu’elle n’était pas du genre froussarde, mais qu’après ce film dont l’objet était la résurrection d’une momie peu sympathique, elle était bien contente de n’avoir fait l’acquisition que d’un simple pied. Elle gloussa quelques secondes en imaginant son pied habité par l’esprit de son ancien propriétaire et sautiller tout seul : ça allait, un pied, ce n’était pas dangereux ! Ophélie jeta un coup d’œil sur la place à côté d’elle sur le grand lit, mais Cyril était déjà levé, alors elle entreprit de le rejoindre. Tout en marmonnant d’un air boudeur, car il avait eu le toupet de ne pas attendre qu’elle se soit réveillée, et l’avait donc privée d’une précieuse matinée de câlins. Elle sortit de la chambre, qui débouchait directement sur le salon où le jeune homme mangeait négligemment un morceau de pain au lait devant un animé de sport. « Le sport, toujours le sport, aucune diversité », s’amusa intérieurement l’obsédée d’antiquité. - Tiens, la marmotte est enfin debout ? L’ignorant superbement, la jeune femme se dirigea vers sa pièce préférée et son nouveau bien. - Tu peux pas lâcher ce pied deux secondes ? marmonna Cyril, un sourcil relevé, complètement blasé. Le silence – ou le vent ? – lui répondit encore. Sauf que cette fois, il fut suivi par un cri dont il ne savait pas trop si c’était de la surprise, de la douleur ou de la terreur. Cyril se leva avec précipitation rejoindre sa belle. Elle était dans l’entrée de son petit musée personnel, et se tenait le pied comme s’il avait rencontré la chaise par mégarde. Et surtout, elle n’était pas seule. Sous les yeux des jeunes adultes, se tenait – ou plutôt flottait – une silhouette diaphane, celle d’une jeune femme qui semblait être à peine plus jeune qu’Ophélie. Blanchâtre, elle était habillée d’une tunique égyptienne de la même couleur que son corps, d’origine égyptienne, et ses cheveux noirs qui ne devaient, selon les connaissances d’Ophélie, n’être qu’une perruque, étaient ornés de bijoux précieux. Ses bras, poignets et chevilles étaient eux cerclés de lourds bracelets aux reflets légèrement bleutés. La première pensée d’Ophélie fut que leur invitée devait venir de la noblesse. La seconde fut légèrement plus terre-à-terre. - Q-Q-Qu’est-ce que vous fichez là ?! - Un fantôme ?! s’égosilla Cyril en même temps. L’esprit, puisque visiblement l’être n’avait rien de charnel, les dévisagea de haut en bas avec un air partagé entre dégoût et la totale perplexité. De toute évidence, leur style vestimentaire ne faisait pas partie de ses préférences et lui laissaient une impression vulgaire ! - Et bien, je suis venue récupérer ce qui m’appartient, leur répondit l’âme errante en toute normalité. - Ce qui vous appartient ? répéta bêtement Ophélie qui n’avait pas vraiment l’air de comprendre. - Bah, son pied, répondit Cyril que l’absurdité de la question avait totalement déstabilisé.Le fantôme confirma immédiatement. - Je me prénomme Sothis. La sépulture qui était dédiée à mon repos éternel a été violée, et mon corps taillé tel le fut celui d’Osiris. Voyant à son expression que Cyril ne comprenait pas ses derniers mots, Ophélie se glissa juste à côté de lui, et elle lui chuchota à l’oreille : - Dans la mythologie égyptienne, Osiris a été assassiné par son frère Seth, qui l’a démembré en quatorze morceaux et dispersé ses restes. Devant Sothis qui attendait patiemment qu’ils l’écoutent à nouveau pour continuer, le jeune homme répondit par un haussement d’épaule peu intéressé. Puis, comme elle avait à nouveau leur attention, le fantôme continua : - Je désire réunir mon corps pour fouler à nouveau cette terre. Je n’ai pas encore rejoint l’au-delà, domaine d’Osiris, cela veut dire que ma vie ici-bas n’est pas terminée. Un silence stupéfait accueillit sa déclaration, et il y eut comme un flottement. - Ah, mais ça ne va pas être possible ! répliqua Ophélie une fois sa contenance à peu près retrouvée. Cyril dévisagea sa compagne, impatient de découvrir les arguments qui convaincraient la revenante d’abandonner son projet fou et invraisemblable. Qu’allait-elle avancer ? Les lois du cycle de la vie ? L’état désastreux du corps de Sothis, tout desséché et probablement aussi friable qu’un paquet de chips ? Qui, accessoirement, devait sentir mauvais, il n’en démordait pas. - C’est mon pied, je l’ai acheté hier ! Ce n’est pas le vôtre ! Achetez-vous en un ! Puis, sous l’ahurissement général, elle attrapa la boîte en plexiglas sous son bras et fuit l’appartement à toute allure, jambes à son cou. - Ah, ça, pour faire du sport y a personne mais dès qu’il faut fuir, ça court vite, fut tout ce que Cyril réussit à dire. Mais, puisque rester seul en compagnie d’un fantôme ne faisait pas vraiment partie de ses projets, il imita sa belle et déguerpit sans demander son reste. Ophélie débarqua telle une furie dans la cour et le parking qui séparaient les deux petits bâtiments de la grille d’entrée. Elle fut accueillie par les joyeux aboiements d’un tout jeune chien qui suivait sa maîtresse. Maîtresse qui d’ailleurs était leur voisine, et se trouvait tout à fait abasourdie de voir la jeune femme détaler avec un pied de momie à la main. - Désolée, Sky’1, pas le temps de jouer ! lança la petite brune d’un ton énergique au petit berger suisse. Tandis que Cyril, non loin, arrivait lui aussi comme s’il avait le feu aux fesses, Ophélie courut vers le digicode qui commandait l’ouverture de la grille, et le composa, fébrile. Enfin, essaya, pour réussir après quatre essais infructueux. Pendant ce temps, Sothis elle aussi apparaissait et flottait de toutes ses forces pour rattraper le jeune couple et son pied. Il n’en fallut pas plus pour la voisine, qui s’évanouit tête la première dans l’herbe. Ophélie, qui voyait sa rivale pour la garde du pied arriver, jeta un regard pressé à la grille, qui prenait vraiment son temps dans un grincement de fin du monde. Alors, en désespoir de cause, elle se mit à courir dans la cour comme si sa vie en dépendait … mais en rond, parce qu’il n’y avait pas masse d’espace pour se soustraire à sa poursuivante. Cyril s’était arrêté, lui, médusé par ce spectacle absurde que formaient la passionnée d’antiquité et … l’antiquité elle-même. Elles semblaient venir d’un cartoon, tant leur course était ridicule ! Mais il n’était pas le seul à s’intéresser de près aux deux jeunes femmes². Sky, qui avait totalement oublié sa loyauté canine, regarda le jeune homme d’un œil joyeux, et aboya l’air de dire « Dis, dis ! C’est un jeu c’est ça ? il faut attraper Ophélie ? ». N’obtenant aucune réponse, il se tourna vers sa maîtresse et recommença. N’obtenant toujours aucune réponse, il prit cela pour un oui, abandonnant sa mère d’adoption évanouie dans l’herbe, et se lança lui aussi après Ophélie, nettement plus rapide qu’elle. Celle-ci, n’ayant pas prévu ça, perdit l’équilibre, ses jambes n’étant pas faites pour composer avec vingt-cinq kilos de berger suisse entre elles. Elle effectua un magnifique vol plané. La boîte de plexiglas, qui lui échappa des mains, effectua un encore plus magnifique vol plané. Elle finit sa course dans le mur d’enceinte de la résidence et se brisa en morceaux, libérant le pied qui, par miracle et en défiant les lois de la physique, frôla le mur et vit sa chute amortie par l’herbe mal tondue. Ophélie se releva en vitesse et se précipita pour récupérer son trésor, puis se retourna pour faire face à la seconde propriétaire autoproclamée du pied. Ses mains retenaient le pied avec douceur pour ne pas l’abîmer, mais ses doigts raffermirent leur prise, signe qu’elle ne comptait pas abandonner son bien. Et en dévisageant sa rivale, elle découvrit quelque chose de très bizarre. Enfin, elle hésitait entre le très bizarre, et le terriblement amusant : quand un de ses doigts traîna sur la plante du pied, Sothis eut comme un sursaut. « Ooooooh ? », pensa Ophélie, très intéressée. Elle s’arma de son index gauche et … Guili-guili. Sothis frissonna. Guili-guili. Cette fois, Sothis eut un soubresaut très visible. « Oooooooooh ! », s’exclama Ophélie intérieurement avec un sourire extatique à la limite du sadisme, très contente de sa petite découverte. Tout en faisant attention à ne pas abîmer les bandages, elle chatouilla le pied sans aucune pitié, et cette fois Sothis ne put pas résister. - Noooooooooooon ! s’exclama le fantôme en se roulant par terre et gigotant dans tous les sens pour essayer de se soustraire à ce calvaire. Le pauvre fantôme, dans un spectacle aussi surréaliste que désolant, essayait d’attraper son pied fantomatique, tentant désespérément d’arrêter son supplice. Elle hurlait de rire, criait grâce et suppliait sa tortionnaire de tout arrêter, le tout entrecoupé de spasmes incontrôlés qui rendaient ses phrases à peine cohérentes. Intérieurement, le fantôme oscillait entre la détresse et l’incrédulité. Personne ne l’avait jamais traitée ainsi ! - Non, je vous en prie ! Je vais mourir ! De l’air ! balbutia-t-elle à la merci de son bourreau. Ophélie s’arrêta quelques secondes en pouffant, lui laissant reprendre son souffle, et répliqua : - Mais non, ne vous inquiétez pas, vous êtes déjà morte. Un silence plana entre elles, le temps que le fantôme réalise effectivement l’absurdité de sa supplique. Puis, impitoyable, Ophélie recommença à la chatouiller à distance. Elle semblait totalement avoir oublié qu’elle faisait face à un fantôme qui voulait lui voler son pied. Mais cette fois, Sothis releva la tête avec un œil furieux, et elle passa outre l’irrésistible envie de se rouler par terre jusqu’à la fin de sa longue existence fantomatique pour se précipiter sur Ophélie. Cyril se rua en même temps qu’elle, décidant que la blague avait assez duré et qu’il ne voulait pas voir sa compagne être la victime d’un esprit. Il empoigna le pied et le lança de toutes ses forces à travers le parking, puis prit la main d’Ophélie pour fuir vers la sortie de la résidence, de l’autre côté. - Mon pieeeeeed !!! hurlèrent les deux rivales dans un parfait ensemble. Sothis changea de direction pour flotter à la poursuite du pied volant. Sky, très amusé, se précipita lui aussi vers ce qui ressemblait un énorme jouet, dépassa le fantôme, et attrapa le projectile en plein vol, sous les yeux médusés des trois adultes encore conscients, sa maîtresse n’étant pas encore revenue du pays des songes. Puis il fila à travers un trou béant du grillage qui fermait la résidence – enfin tentait – signe qu’il était vraiment temps de s’inquiéter de l’entretien des lieux. Mais il ne revint pas. Le petit chien n’avait visiblement pas encore compris qu’il fallait ramener le bâton après l’avoir attrapé … La noble égyptienne, horrifiée, se jeta à la suite du berger suisse, passant allègrement à travers la clôture. Ni une, ni deux, Ophélie échappa à la surveillance de son compagnon et courut vers la grille, qui entretemps s’était refermée. Décidant qu’elle était trop longue à s’ouvrir, la jeune femme se jeta à travers le même trou que Sky, avec beaucoup moins d’agilité et de grâce, et se précipita hors de la résidence. Cyril, totalement désolé, la suivit, mais par la grille principale. Ce n’était plus la peine d’attendre quoi que ce soit de réfléchi et logique de la part de la jolie brune … Celle-ci vit Sothis au loin, et s’élança vers elle. Mais le fantôme s’arrêta bien vite. Elle était plus lente que Sky, mais surtout, l’esprit semblait totalement déboussolé. A son regard perdu qui se baladait d’un endroit à l’autre, Ophélie réalisa bien vite qu’elle ne reconnaissait tout simplement pas ce monde, bien trop différent de ce qu’elle avait connu. Dans sa hâte de retrouver son bien, Sothis était passée outre la décoration de l’appartement du couple, le portail automatique ou encore les voitures garées, mais cela commençait à être bien trop pour elle. Une voiture passa tout près d’elle, dépassant joyeusement les cinquante kilomètres par heure, et ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Sothis poussa un cri apeuré, et détala dans une direction totalement aléatoire en hurlant. - Elle a totalement pété les plombs … souffla Ophélie, incrédule. - Si c’était la seule ! répliqua Cyril en maugréant. Du coin de l’œil, la jeune femme vit Sky, qui attendait sur le trottoir et avait relâché le pied devant lui. Il se léchait les babines d’un air totalement dégoûté : le pied ne semblait pas du tout être à son goût. Il regardait d’ailleurs Cyril avec un œil réprobateur, l’air de dire « pourquoi tu m’as lancé ça ? c’est pas bon ! ». - Chéri, récupère le pied s’il te plaît ! lança Ophélie avec des yeux de chaton implorant. Moi, je m’occupe de notre fantôme paniqué. Et sans attendre son accord, la jeune brune reprit sa course – modérée, elle commençait à fatiguer – dans la direction que Sothis avait empruntée. Sur le chemin, elle croisa un petit vieux, livide, qui regardait vers le prochain croisement. - Bah alors, on dirait que vous avez vu un fantôme ! rigola Ophélie. A ces mots, le vieil homme tressaillit, avant de pointer d’un doigt digne de Parkinson la rue que Sothis avait suivie. - Merci pour la direction ! s’exclama la passionnée d’Egypte. Puis elle repartit comme une tornade, laissant la personne âgée seule avec son incrédulité. Deux cents mètres plus loin, elle croisa un deuxième petit vieux, pas plus serein que le premier, mais qu’elle reconnut : Lucien ! Son air catastrophé et ses tremblements rassurèrent sa petite cousine sur le fait qu’elle ne s’était pas trompée de chemin. Il fouilla sa poche, fébrile, et laissa tomber un petit objet par terre qu’il tenta de ramasser, pourtant plus très agile. - Le f-f-fan… le fantôme, balbutia-t-il à l’intention d’Ophélie qui le dévisageait en trépignant pendant qu’il essayait de récupérer son bien. - Oui, oui, je sais, répliqua-t-elle avec empressement en agitant la main comme si elle voulait balayer le sujet. - L’amu… l’amulette ! Prends-la, s’exclama-t-il non sans bégaiements, alors que la petite tablette gisait toujours au sol. Sa petite cousine haussa les épaules d’un air peu intéressé, et lâcha en partant à toute vitesse : - Pas besoin ! Et pas le temps ! Désorienté, Lucien la regarda partir en murmurant un « mais … l’amulette … le fantôme … » incrédule. Comment ça, « pas besoin », alors qu’un esprit vengeur se baladait dans la rue ?! Très vite, Ophélie se retrouva hors de sa petite commune, en bordure de champs. Aucun fantôme dans son champ de vision. Alors elle s’arrêta quelques secondes pour réfléchir. Logiquement, si Sothis avait si peur de ce qu’elle ne connaissait pas, alors elle avait probablement dû s’éloigner de la route et de la civilisation dès que c’était possible. Alors la jeune femme longea les champs, attentive à la moindre trace de l’âme. Finalement, elle entendit des pleurs, qui la guidèrent vers un petit bosquet en bord de route. Elle entra dans le petit boisement humide, et y trouva tout de suite une petite mare après les premiers arbres. Là, devant le point d’eau, flottait l’esprit, assis dans le vide au-dessus d’un tronc couché. Sothis pleurait à chaudes larmes, et Ophélie eut un petit pincement au cœur, compatissante. Même si elle voulait voler son pied. Elle s’assit à côté d’elle, et posa sa main sur son épaule vaporeuse. Enfin, essaya, parce l’égyptienne était une âme et était donc totalement intangible. « En fait, ce fantôme ne pouvait rien me faire, hein ? », pensa la vivante, amusée de la frayeur que Sothis leur avait causée. - Quel est cet endroit ... ? sanglota l’égyptienne en reniflant3. - Ici ? Bah, c’est juste une petite bourgade cernée par la campagne. - La campagne chez moi ne ressemble pas à ça ! s’exclama l’esprit vivement, sans comprendre. Il n’y a pas cette terre noire et plate aussi dure que de la pierre qui recouvre le sol de la cité, il n’y a pas de portes vivantes qui s’ouvrent toutes seules, il n’y a pas de stèles lumineuses sur les devantures des auberges, il n’y a pas de … - C’est le monde aujourd’hui, plus de deux mille ans après ton époque, répondit Ophélie qui passa instinctivement au tutoiement. Un silence attristé salua sa déclaration. Sothis comprenait, même si elle semblait dans le déni. Elle comprenait que le temps était passé et avait emporté son époque, elle comprenait que la société avait évolué, comme la sienne avait remplacé des peuples moins sophistiqués. Elle comprenait que le monde avait changé, elle ne voulait tout simplement pas l’accepter. - Dis-moi, Sothis … Si tu réunissais ton corps, tu penses vraiment que tu pourrais revivre ? La jeune égyptienne ne répondit pas. Il était évident qu’elle n’était plus certaine d’y croire, et qu’elle voyait où la brune voulait en venir. - Ton corps, il est dans un sale état … en plus, on ne sait pas où est le reste. Il est peut-être dans un musée, ou chez un collectionneur comme moi, mais il peut aussi avoir été détruit … Désolée. « Pour le tact, on repassera », nota Ophélie en son for intérieur. Mais il fallait bien qu’elle soit sincère et que l’âme errante entende raison ! - Mais qu’est-ce que je dois faire ? demanda Sothis éplorée. Ophélie haussa les épaules, puis tenta de répondre à sa question : - Je ne sais pas. Mais, même si tu retrouvais la vie, tu penses pouvoir vivre seule dans ce monde ? Il n’a plus rien à voir avec ton Egypte natale. La politique, les coutumes, la technique ou ce qu’on appelle la technologie, tout a évolué depuis. Tu n’as plus de repères ici, si tu revenais vraiment, il faudrait que tu réapprennes tout de zéro. - Mon pays me manque … murmura Sothis en se recroquevillant. Je ne sais rien de cet endroit … Mais si je suis réapparue ici, c’est qu’il doit y avoir une raison ! Non ? Je dois avoir une place quelque part ! Elle leva vers son interlocutrice un regard plein d’interrogations, cherchant une lueur d’espoir chez l’acheteuse de son pied. - Peut-être … que quelque chose te raccroche au monde des vivants. Certaines croyances considèrent que les morts peuvent errer ici lorsqu’ils ont des regrets. C’est peut-être pour ça que ton esprit est réapparu près d’un morceau de ton corps. - Mais … je ne me souviens que très peu de ma vie … mes souvenirs sont si flous … Ophélie dévisagea le fantôme, qui n’avait même pas son âge. A bien y regarder, Sothis avait un visage doux, qui n’exprimait en ce moment que de la détresse. Elle n’était pas agressive, et son désespoir ne semblait pourtant pas la rendre folle. Elle était atterrée, anéantie, mais pas dérangée. Elle n’avait pas l’air si dangereuse, et une fois calmée, devait être une gentille jeune femme … La vivante se releva avec un élan de joie, et répliqua : - OK ! J’ai une idée, suis-moi ! Le fantôme, qui ne comprenait ni le « ok », ni quelle idée la jeune femme pouvait avoir, se redressa aussi. Elle retrouvait un peu d’espoir à travers le sourire et la voix enjouée d’Ophélie. Cependant, sa peur du monde extérieur de la quitta pas pour autant, et elle émit vite une objection. - Mais ! Sur le chemin, il y a ces espèces de monstres en métal qui … - Oh, ça ? rit la brune en désignant l’objet des peurs de Sothis qui roulait au loin. On appelle ça une voiture, c’est une machine que l’on conduit pour aller d’un endroit à un autre. Elle ne te fera rien, au pire elle te traversera … Par contre, reste sur le côté de la route, je n’ai pas envie que le conducteur fasse un écart pour t’éviter et ait un accident ! Ophélie la ramena en quelques minutes chez elle. Elles repassèrent même devant Lucien qui n’avait pas bougé, abasourdi, et qui avait lâché un « ah, la jeunesse » fatigué devant le « V » de la victoire d’Ophélie. Cette dernière retrouva Cyril avec un grand sourire. Le jeune homme était rentré dans l’enceinte de la résidence, le pied de momie à la main, et se tenait à côté de la voisine qui reprenait doucement ses esprits, avec Sky qui néanmoins restait à bonne distance du bout de cadavre embaumé. - Enfin de retour ? s’enquit le jeune homme en dévisageant, suspicieux, Sothis et son nouveau calme. - Yep ! s’exclama Ophélie avec un pouce en l’air. Merci pour le pied, tu peux me le rendre maintenant ! Cyril ne se fit pas prier, pas forcément très heureux de tenir ce bout de momie entre ses doigts. Sa compagne inspecta son acquisition avec attention. Heureusement, le pied ne s’était pas brisé en deux lorsque Sky l’avait attrapé dans sa mâchoire. Cependant, le talon était un peu abîmé, une petite partie du pied s’effritait, et il y avait maintenant dans les bandelettes quelques traces de dents. - Tss … il tient encore en un seul morceau, mais il est quand même amoché … Elle jeta un regard réprobateur aux deux mâles de l’assistance, à savoir Cyril et Sky, qu’elle tenait responsable des derniers dégâts. Puis, comme il n’y avait rien à faire pour le restaurer, elle haussa les épaules et rentra dans leur bâtiment. - Attendez-moi ici, je reviens. La voisine pointa un doigt étonné vers elle-même, l’air de demander « moi aussi ? », puis comme Ophélie était partie sans réagir, Cyril lui fit signe qu’ils n’avaient pas besoin d’elle et qu’elle pouvait enfin aller promener Sky, même si le chiot avait déjà peut-être eu sa dose d’émotions. Sothis et Cyril se retrouvèrent donc seuls en tête à tête, tous deux relativement mal à l’aise. - C’est bon, vous n’allez plus nous sauter dessus pour récupérer ce pied ? Vous n’allez pas nous posséder ? vérifia le jeune homme dubitatif. - Eh ! protesta Sothis. Déjà, ce pied m’appartient, normalement. Et puis, je ne fais pas ce genre de choses ! Vous posséder ? Je ne sais même pas comment on fait ! - C’est bien, continuez ! répliqua Cyril précipitamment avant que l’âme errante n’ait le temps d’étudier la question. - La seule chose que je sais faire, c’est me rendre invisible, ou visible pour quelques personnes seulement. - Mais … pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? l’interrogea-t-il, ahuri. - Je ne peux pas tenir d’objets, j’avais besoin que vous me voyiez, répondit-elle naturellement. - Mais ! Et la voisine ? Et le vieux ? - Je n’y ai juste pas pensé. Au bout de quelques minutes, Ophélie revint vers eux. Un biscuit dans la bouche, elle portait dans ses bras un gros bocal en verre, qui contenait le pied. Un gros bouchon sophistiqué avec une ventouse intégrée fermait le bocal. Cyril la détailla d’un œil surpris, cherchant ce que sa compagne avait bien pu penser, puis vint la réalisation. - Heeey !! s’indigna le jeune homme. La boîte à cookie ! Et le dernier cookie ! - Cookie ? répéta le fantôme dans l’incompréhension. Qu’est-ce que c’est ? Ophélie, qui finissait sa bouchée, lui montra le biscuit dans sa main, puis répondit : - J’ai rien trouvé de mieux que la boîte à faire le vide pour protéger notre pied de l’humidité. - « Votre » pied ? répéta Cyril, totalement blasé. Il y avait du progrès dans la concession … - Enfin, je veux dire … se reprit-il vite, sentant qu’il s’égarait. La boîte à cookie !! Je ne mangerai plus jamais la moindre bouffe venant de cette boîte à vide ! C’est mort ! - C’est bien, de toute façon j’en ai besoin pour mon pied… notre pied, corrigea-t-elle comme si c’était le plus important. Déjà que c’est pas optimal comme protection, c’est le mieux qu’on ait ici pour le conserver ! - Mais ! La boîte à cookie ! Cyril envisagea de protester une dernière fois, mais il n’en avait plus l’énergie. Cette journée était beaucoup trop longue pour lui. Il jeta un regard à sa montre, comme pour confirmer sa pensée … mais cela ne faisait qu’une demi-heure qu’ils étaient sur cette histoire de pied. Bordel. - Bon. La matinée est déjà assez longue comme ça … maintenant que personne n’a plus l’intention de poursuivre qui que ce soit, je vous laisse faire votre vie, vous reviendrez me voir quand vous aurez décidé de quelque chose, hein … marmonna Cyril en se massant le front avant de rentrer chez lui. Ophélie haussa les épaules en jetant un « lâcheur, va ! », puis se tourna vers Sothis, tout sourire. - Bon ! On a réglé la question de l’état du pied, maintenant on s’occupe de ton cas ! - Quelle était ton idée ? s’enquit l’égyptienne, curieuse. - On est d’accord que tu ne connais rien à ce monde. - Oui. - Mais que t’es bloquée dedans. - Oui. - Et bien, reste avec nous ! Sothis accueillit sa proposition avec stupéfaction. Elle devinait aisément que tout le monde n’était pas désireux d’avoir un fantôme chez soi, et que ce n’était pas chose courante sur cette Terre ! Ou alors, le monde avait vraiment évolué depuis sa mort. - Je suis passionnée par l’histoire de ton pays, expliqua Ophélie, voyant que le fantôme n’était pas certain de comprendre. Du coup je pense pouvoir bien t’aider à t’adapter, et tu pourras m’apprendre plein de choses ! Les yeux de la jeune brune brillèrent en se posant sur l’esprit, qui une fois pacifié devenait une source phénoménale d’information ! Devant tant d’intérêt, Sothis recula presque, impressionnée. C’en était impressionnant, limite … effrayant. Mais elle sourit à l’idée de cette relation « donnant donnant », qui était probablement la meilleure solution qui s’offrait à elle. - Et puis, Cyril et moi on aime voyager, on bouge pas mal, continua Ophélie. Si tu nous suis, tu pourras découvrir le monde tel qu’il est maintenant ! Les yeux de Sothis s’illuminèrent. Elle comprit que même si elle était coincée dans un monde qu’elle ne connaissait pas, isolée de sa famille et bien loin de ses traditions, elle n’était plus seule. Une nouvelle vie de liberté s’ouvrait à elle ! - Si toi et ton compagnon m’acceptez … - Moi c’est tout vu ! Et Cyril … bah, il s’y fera avec le temps, rigola la jeune femme. Elle crut entendre un vague « QUOIIII ?! » venant de son appartement, mais ce n’était probablement que son imagination. Ophélie tendit la main, tandis qu’un grand sourire barrait son visage. - Alors, si tu veux … tu peux rester avec nous jusqu’à ce que tu passes dans l’au-delà ! Sothis sourit à son tour, et, semblant comprendre le geste de sa nouvelle amie, elle avança aussi sa main, qui traversa celle d’Ophélie dans un « check » fantomatique du plus bel effet. Toutes deux se tournèrent alors vers l’entrée de la résidence. C’était leur demeure, le nouveau toit de Sothis. Et tandis qu’elles rentraient ensemble chez elle, Ophélie lui jeta un regard complice, et s’exclama : - Par contre, je garde le pied ! 1 Comme Skyland. Ou le ciel. Ou le whisky. Comme vous voulez. ² En fait, il y en a une carrément plus vieille que l’autre. Mais elle ne les fait pas, ses 2000 ans ! 3 En reniflant quoi, on se le demande, je ne vois pas bien ce que pourrait renifler un fantôme. A moins que ça n’existe, la morve ectoplasmique. Yerk.
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Voici une petite nouvelle, écrite cette année dans le cadre du cours de français, avec seulement deux contraintes : avoir une chute (pour une nouvelle, c'est mieux !), et caser une phrase donnée : "elle était assise sur le pont, les yeux ouverts". Les mélodies du passéIl faisait particulièrement beau, en ce jour d'été-là. Le vent jouant dans ses longues boucles châtain, Aria souriait doucement. Elle était assise sur le pont, les yeux ouverts, détaillant de ses jolies prunelles grises la vaste prairie qui s'étendait au-delà du ruisseau. L'endroit avait un peu changé ; l'herbe avait poussé, quelques arbustes interrompaient çà et là la ligne d'horizon, mais c'était bien la prairie de ses souvenirs. Elle en était certaine : la petite cabane qui se tenait à la lisière de la forêt en témoignait. C'est là qu'ils avaient passé tant de temps ensemble, tous les deux.
La jeune femme se redressa, comme réveillée d'un long rêve. Elle se releva et passa le pont d'un air joyeux, heureuse à la seule idée de retrouver ces quelques mètres carrés de paradis. La porte, comme engourdie par le passage des années, mit du temps à bouger et s'ouvrit dans un grincement de fin du monde. Une fois à l'intérieur, Aria détailla longuement la pièce du regard. Les murs de bois étaient nus, dépourvus de toute décoration. Seul mobilier : un magnifique piano à queue noir, recouvert d'une couche de poussière, comme une preuve du passage des années. Aria passa une main distraite sur l'instrument pour le nettoyer, toute à sa rêverie. Elle était revenue à cause d'une rumeur. Quelques jours plus tôt, alors qu'elle déambulait dans le village non loin, elle avait entendu parler d'une légende urbaine qui circulait parmi les habitants. Aria n'avait pas tout saisi, seulement des bribes d'une conversation qui ne la concernait pas, mais le peu qu'elle avait retenu lui suffisait. Des témoins avaient juré, plusieurs fois, avoir entendu une douce et nostalgique mélodie au piano, accompagnée par le chant du vent. Parfois, on parlait aussi d'une étrange et vague silhouette déambulant non loin de la cabane abandonnée. Elle était revenue, pour cette silhouette. Pour lui. Ils avaient passé tant de temps ensemble, dans cette cabane ! Ils étaient si heureux … Mais il avait disparu, s'en était allé au ciel. Seul. Sans le moindre adieu. Elle était revenue, dans l'attente d'une réponse. Machinalement, ses doigts se mirent à caresser les touches blanches du piano, enlevant une fine couche de poussière. Souvent, ils venaient jouer ici, rien que tous les deux. En ce qui concernait la musique, ce garçon n'avait pas son pareil. De son toucher si délicat, il parvenait à faire parler même les airs les plus simples, et lorsqu'il jouait, la nature elle-même semblait se taire pour mieux l'écouter. Comme si le monde entier n'osait pas interrompre sa mélodie, de peur de briser cette harmonie. Seul le vent chantait, affectueusement. Aria, elle, s'asseyait sur le parquet, adossée au mur. Elle fermait les yeux, se laissant emporter par les envolées lyriques de ses doigts virtuoses, jusqu'à entrer dans un état de transe et de béatitude dont elle ne ressortait qu'une fois revenu le silence. Souvent, il lui laissait la place devant le clavier, et Aria laissait à son tour ses doigts parcourir les touches blanches et noires au gré de ses émotions. Il disait qu'elle jouait bien, et cela la remplissait de joie. Il disait qu'elle avait un grand potentiel, et qu'un jour ils feraient carrière ensemble. Il disait qu'ils reviendraient tous deux l'année suivante, comme toujours, et il l'avait quittée à jamais. Aria s'assit au piano, et laissa son dos reposer contre le mur derrière elle, les yeux fermés et le souffle paisible. Elle se souvenait parfaitement de tous ces moments passés dans cette cabane, chaque été avec ce garçon. C'étaient les souvenirs les plus heureux de sa vie, après tout. Bientôt, et sans s'en rendre compte, la jeune femme s'assoupit, emportée jusque dans les bras de Morphée par les mélodies du passé. Les notes qui s'égrenaient, accompagnées par le vent qui soufflait gentiment, elle les entendait encore plus clairement dans ses rêves. Le contact des touches vernies sous ses doigts, la sensation du marteau frappant les cordes, tout cela, elle le ressentait avec un étrange réalisme. Et surtout, c'était comme s'il était là, avec elle, à nouveau et à jamais. Elle se vit jouer devant lui, comme dans ses souvenirs, et parvenir à cet état de béatitude dans lequel rien n'existait d'autre que lui, le piano et elle. Mais très vite, la réalité dut reprendre son cours, et Aria s'éveilla. Un nouveau sourire étira ses lèvres fines. Il n'était pas revenu, contrairement à ce qu'elle avait espéré en suivant ces rumeurs. Mais cela voulait certainement dire que plus rien ne rattachait son esprit à cette Terre. Il reposait en paix, et cela suffisait à son propre bonheur. Heureuse, et comme si elle prenait le temps de dire adieu à la cabane et au piano de ses souvenirs, Aria quitta le petit abri d'un pas lent. Elle referma la porte grinçante, sans prêter attention à la poussière, qui avait tout à fait disparu des touches du piano, comme chassée par la main et le jeu d'un pianiste. Non loin, un voyageur arriva au village, et avisa une femme âgée à l'air aimable, qui semblait être la doyenne du petit bourg. Elle était paisiblement assise au bord d'une fontaine. Le voyant s'approcher, elle prit la parole, d'un ton doux et chaleureux. « Soyez le bienvenu dans ce village. Avez-vous besoin de quelque chose, ou du temps à consacrer à une vieille dame comme moi ? - Et bien, à vrai dire, répondit-il après l'avoir saluée à son tour, j'ai bien une petite question. En venant, j'ai entendu une magnifique mélodie au loin, vers la lisière de forêt. Du piano, je crois. Et le vent semblait même … hum … - Chanter ? compléta la doyenne avec un sourire. Si vous voulez en savoir plus, alors laissez-moi vous conter une légende qui circule dans ce village depuis de nombreuses années. La légende d'une pianiste, dont l'esprit reviendrait chaque été dans ce village à la recherche de son compagnon perdu, et pour qui, lorsqu'elle joue, même la nature se tairait : la légende d'Aria Lys. » |
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